Thèses de l’Union nationale sur l’herméneutique - adoptées au Synode de Saint-Jean-de-Maruéjols en 1997
A1. Jésus-Christ au centre de la Bible
Les Ecritures, seule règle ou « canon » pour la foi et la vie chrétienne, sont à recevoir et à comprendre à partir de leur thème central : l’œuvre divine de salut en Jésus-Christ. Cette affirmation ne ressort pas d’un choix arbitraire mais du témoignage explicite de la Bible (Jean 5.39, 20.30-31).
Cette perspective ouvre nos intelligences au sens véritable et ultime des Ecritures (Luc 24.15-32). Elle va nous permettre de lire les textes et de les inter- roger quant à leur rôle, place et signification par rapport à ce thème central (Matt 5.17).
A2. La vérité de la Bible
La Bible est la Parole de Dieu. A ce titre elle est entièrement digne de confiance. En elle et par elle nous pouvons connaître la vérité sur Dieu, sur le monde et sur le salut.
Or, dans cette quête de la vérité, nous devons commencer par ne pas projeter nos propres conceptions de la vérité (par exemple comme une entité indé- pendante de Dieu, cf. Jean 14.6 ou Jean 17.17), mais bien plutôt nous laisser conduire dans celle que la Bible nous présente.
Dans cet esprit nous ne devons pas enfermer la question de la vérité dans une simple conformité aux faits historiques ou scientifiques (la vérité d’une parabole ou d’une proposition sapientiale n’est pas de cette nature). En conséquence, le niveau d’accord entre les énoncés bibliques et la réalité fac- tuelle - et donc l’importance qu’il faut attacher à cette correspondance - est variable en fonction des genres littéraires et des intentions du texte.
A3. La clarté de la Bible
Bien qu’il y ait des passages difficiles dans la Bible (2 Pi 3.16), son enseigne- ment est clair en tout ce qui est nécessaire au salut (Luc 16.29-31). C’est au sein du peuple de l’Alliance, dans le vécu « en Christ » et « par l’Esprit » que cette affirmation prend tout son sens et tout son poids.
En ce qui concerne les difficultés, celles-ci ressortent le plus souvent des enseignements éthiques. En effet, les ordonnances divines sont communi quées, dans la plupart des cas, non pas dans des normes de comportement immuables et universellement valables, mais en face de situations historiques concrètes que nous n’appréhendons pas toujours clairement aujourd’hui.
La recherche de sens, en ce qui concerne bien des passages bibliques conti- nue donc d’être une réalité pour le croyant et pour l’Eglise.
A4. La suffisance de la Bible
La clôture du canon biblique indique que la Révélation qui nous parvient par ces écrits est achevée et par là-même suffisante pour nous conduire sur le chemin de la sanctification et du salut (Apoc 22.18).
Il en ressort que le travail de l’interprète n’a pas pour but de faire parler les silences (comme s’il y avait une insuffisance de l’Ecriture), mais d’éclairer notre contexte et nos questionnements contemporains par cette Parole révélée en montrant sa signification pour notre temps.
Ce faisant, l’interprète doit se garder d’imposer aux textes des « grilles de lecture » étrangères à leur genre ou à leur intention, ou même à la pensée biblique en général, dans le but d’obtenir des harmonisations faciles avec la pensée contemporaine.
Cependant, confesser la suffisance des Ecritures ne signifie pas que celles-ci surgiraient au sein d’un vide. Le Dieu qui nous guérit de notre cécité en Jésus- Christ et par l’Esprit, qui nous parle par la Bible, se révèle par ailleurs dans les œuvres qu’il a faites (Ps 19.2-5, Rom 1.18-20). Ainsi, la Bible elle-même n’a de sens pour nous que parce qu’elle s’inscrit dans un langage et un environne- ment qui ressort de l’ordre créationnel. Il découle de cela que le recourt à des informations extra-bibliques (qu’elles soient de l’ordre de la nature comme de celui de la culture) pour comprendre, voire pour appliquer correctement les ordonnances divines, peut être tout à fait légitime (1 Cor 11.14-15).
B1. Une nécessaire interprétation
De tout ce qui précède il ressort qu’entre le stade de la lecture et celui de la compréhension, se glisse obligatoirement une étape interprétative (Act 8.30- 35). Celle-ci est peu perceptible lorsque l’enseignement de l’Ecriture est « clair » (voir A3), voire même massif (sur l’unicité de Dieu par exemple), ou bien lorsque les clés de compréhension sont données par la tradition unanime de l’Eglise (sur la Trinité par exemple) ; mais elle apparaît au grand jour et dans toute son importance face à certaines difficultés d’un texte (ou d’un sujet) et lorsque les clés traditionnelles sont inexistantes, inefficaces ou contestées.
On comprendra donc aisément que le maintien effectif de l’autorité de la Bible passe par des règles d’interprétation qui respectent l’objectivité des écrits dans leur diversité, tout en permettant au lecteur contemporain de sai- sir la cohérence du plan de Dieu et les applications qui en découlent pour lui.
B2. La Bible tout entière
La connaissance du « christocentrisme » de la Bible (voir A1) se nourrit de l’ensemble de l’univers biblique. Il ne saurait donc justifier un tri à l’intérieur du canon. Si la Révélation a bien un centre, elle n’est pas qu’un centre. Nous devons donc honorer les Ecritures dans leur totalité (Matt 5.19-20, 2 Tim 3.16), y compris les passages difficiles, obscurs ou qui ne s’appliquent plus directe- ment.
Cette prise en compte de l’intégralité du message biblique fait surgir iné- vitablement des problèmes d’harmonisation, tant au niveau historique qu’éthique ou doctrinal. Ceux-ci peuvent être abordés grâce à un certain nombre d’outils parmi lesquels :
– une « exégèse » studieuse des passages concernés (voir B3) avec notam- ment une étude des contextes et des genres littéraires ;
– l’auto-interprétation des Ecritures (l’« analogie de la foi », cf. Romains 12.6, ou la Bible s’expliquant par elle-même)
– la priorité donnée aux passages les plus clairs sur ceux qui peuvent prêter à des interprétations diverses ;
– la reconnaissance d’un développement de la Révélation à travers son histoire (Rom 16.25-26).
Cette tentative, jamais achevée, d’une écoute et d’une compréhension de l’ensemble de la Bible recèle une grande force. Elle permet à la Sainte Ecriture d’être vraiment la pierre de touche de nos pensées et de nos croyances ; elle nous renvoie constamment vers une autorité toujours extérieure à nous- mêmes et qui, de ce fait, continue de corriger et de contrecarrer tout effort humain tendant à emprisonner son message.
B3. Faire sortir le sens des textes
Si la Bible est un tout, elle est également une incroyable compilation de documents divers, écrits pour des raisons variables, dans des circonstances différentes et par des hommes, eux aussi, très divers.
Comprendre le sens de ces textes, c’est donc d’abord les prendre au sérieux tels qu’ils sont. C’est pourquoi les approches mystiques ou allégoriques, lar- gement utilisées dans l’Antiquité et au Moyen Age, ont été écartées par les Réformateurs. Celles-ci, non seulement ne respectent pas les écrits dans leur véritable signification, mais contribuent de plus au développement d’une gnose chrétienne que seuls des interprètes autorisés peuvent discerner. Par conséquent l’« exégèse » réformée fera appel, sans crainte, à des méthodes scientifiques (étude des langues, des manuscrits et de leur transmission, étude des contextes historiques, et tout ce qui découle des sciences du lan- gage) afin (très modestement !) de seulement préciser et enrichir la compré- hension naturelle que tout croyant peut avoir par la simple lecture.
Dans bien des cas, néanmoins, ce travail d’investigation permettra de résoudre des difficultés dont la solution n’est pas accessible sans cette recherche.
Bien entendu, l’étude du sens particulier d’un passage ne fait jamais abstrac- tion du fait qu’il s’agit d’une parole biblique, parole inspirée de Dieu dont la signification ultime (ou sens « pleinier ») est éclairée par le rapport avec l’en- semble des Ecritures (voir B2), et leur intention fondamentale (voir A1).
B4. Le secours de l’Esprit-Saint
Comprendre la Bible est une démarche spirituelle en même temps qu’elle procède de méthodes rationnelles. Ainsi, dans cette volonté d’écoute de ce que Dieu veut nous dire, nous pouvons être assurés du secours de l’Esprit- Saint. Son action est en effet nécessaire et suffisante pour nous amener à recevoir la Parole écrite de Dieu dans sa vérité et son autorité. Les chrétiens ne sont dépendants à cet égard, d’aucune autorité magistérielle ou décision institutionnelle.
Néanmoins, le témoignage de l’Esprit n’est pas un témoignage libre et impré- visible, car il entretient avec celui de la Parole une relation à la fois exclusive et contraignante. L’Esprit est témoin, au sens le plus complet du terme, il ne dit rien de lui-même, il ne dit que ce qu’il a entendu (Jean 16.5-15). Il renvoie au témoignage extérieur de l’Ecriture, auquel il n’ajoute, ni ne retranche.
Grâce à la coïncidence de ces deux témoignages, l’exercice d’une discipline, et le « discernement des esprits » sont possibles dans l’Eglise. Toute forme de conviction ou de comportement ne peuvent pas se réclamer de l’Esprit (1 Jean 4.1-3). L’inspiration de l’Esprit se reconnaît concrètement à la détermina- tion qu’elle éveille et fait grandir dans le cœur des croyants de vivre ce que l’Ecriture révèle.
Autrement dit, l’action de l’Esprit ne se substitue pas au travail d’interpréta- tion de l’Ecriture, au contraire, elle le motive en renouvelant chez l’interprète (le croyant ou l’Eglise) le désir de connaître la vérité et de marcher en elle (1 Cor 2.10-13).
B5. La place de la tradition
Il n’y a pas d’Eglise où la lecture de la Bible serait dégagée de toute influence traditionnelle. L’interprétation de la Bible a une histoire et celle-ci joue un rôle important dans la définition à priori des thèmes théologiques majeurs. La tradition de l’Eglise universelle, comme celle des Eglises Réformées, fournit en quelque sorte un « prêt à porter » doctrinal et éthique que nous adoptons peu ou prou, consciemment ou inconsciemment.
Cette réalité n’est pas négative en soi, bien au contraire. S’il fallait, à chaque génération, repartir à zéro dans le travail d’interprétation de la Bible, l’Eglise serait en grande difficulté. Nous héritons et nous bénéficions de la réflexion et du vécu d’une foule de témoins si bien qu’on peut parler d’un progrès de la connaissance au cours des siècles (Eph 4.11-13).
Cependant ce progrès n’est réel et possible que si la référence à la tradition n’échoue pas dans le traditionalisme. En restaurant l’autorité souveraine des Saintes Ecritures, les Réformateurs ont mis en question la confiance inébran- lable que l’Eglise avait en sa tradition. Celle-ci pouvait errer, se tromper, et entraîner finalement des foules de croyants loin d’une connaissance vraie de Dieu et du salut.
Ainsi, dans notre interprétation de la Bible, la compréhension traditionnelle doit être reconnue et prise au sérieux. Elle ne saurait cependant tenir lieu, à elle seule, de norme déterminante.
B6. Le discernement communautaire
La « méthode d’examen » que les Réformateurs ont mis en avant pour justifier leur résistance à l’autorité magistérielle de l’Eglise catholique romaine, a pu dégénérer en « libre examen », c’est-à-dire dans une philosophie selon laquelle l’accent n’était plus sur la primauté des Ecritures, mais sur celle de la conscience individuelle.
L’individualisme des « Lumières » (XVIIIe siècle) a en effet favorisé un indé- pendantisme dont on a dit ultérieurement qu’il était la marque du protes- tantisme. L’histoire a montré vers quels naufrages cet esprit a pu conduire les Eglises : schismes à répétition dans un premier temps, puis abandon délibéré de l’unité doctrinale dans le pluralisme ensuite.
Dans l’interprétation de la Bible, nous avons bien trop souvent oublié la dimension communautaire ou ecclésiale. Or le Nouveau Testament souligne fréquemment que c’est dans la communauté que l’on arrive à connaître Dieu en Christ - là où tous les croyants ensemble expérimentent la plénitude de l’amour et de la puissance du Christ. Depuis Calvin, la tradition réformée inclut cet accent sur la catholicité de la vérité. Ecouter les voix des frères et des sœurs, des pères et des mères, et respecter l’avis, la compréhension et même la réprimande des autres membres du corps des croyants est une base essentielle de la manière Réformée de lire et de comprendre la Parole de Dieu, et de discerner sa volonté. C’est sous cette condition, entre autres, que l’Eglise peut exercer son rôle maternel (Gal 4.26) et être pour le monde « colonne et soutien de la vérité » (1 Tim 3.15).
Cet accent devrait servir d’antidote à l’individualisme comme au subjecti- visme, au libéralisme comme à l’illuminisme, et contribuer ainsi à maintenir la foi de l’Eglise et des croyants sur le fondement solide des Saintes Ecritures.
B7. Bible et piété personnelle
Ce qui vient d’être dit est valable tant pour l’Eglise et ses enseignants que pour les croyants en particulier. Ces derniers retireront de ces principes une saine pratique des Ecritures qui les fera avancer vers plus de connaissance et plus de maturité chrétienne.
Il est vrai cependant que nos questionnements personnels ne se rattachent pas toujours de manière directe et évidente à des enseignements explicites de la Bible, mais celle-ci nous fournit des principes généraux à appliquer à ces situations particulières. Ainsi, dans le dialogue avec Dieu, par la prière, la méditation et l’accompagnement de l’Eglise, le croyant peut être éclairé sur ces interrogations.